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CREVASSE

(EXTRAITS)
 
 
2-
Les jours ont cessé d’être des jours
La densité se regroupe
Refermée autour du même ordre de geste
Pourtant autre à chaque fois.
 
Le temps cesse de peser si lourd
Charriage d’heures en suspend
Comme égarées ailleurs
Le rythme s’étiole, s’étire et se métamorphose.
 
Ensevelie dans cette moiteur sans matière
Couchée sous le plafond humide et saturé
Arrêter le contact avec la lumière livide
Les gyroscopes de ces étincelles bleuies par la nuit.
 
Sous la pierre arrondie
Courbes sereines et tendues, dangereuses.
Abandonnées par la glace
Qui s’éloigne au - delà du verrou.
 
Eboulis granitiques figés au - dessus des gouffres d’eau
Le bleu lointain des blessures ouvertes
Comblées par le lichen et les chutes de pierres
Millénaires, qui s’esquivent de la paroi usée.
 
Pluie
Eau qui grelotte
Chargée de son parcours
Odeur minérale.
 
Nous devions aboutir ici.
 
 
 
3-
Eboulis d’encre grise
La pierre bleue
Fracture d’équilibre
Repose
Alourdie de soleil,
Sous l’air du col,
De l’autre côté du vide
Les dos des marmottes ébouriffent
Le velouté du vallon
Son étendue de soie
Rose et paille
 
Frisson de l’espace
 
Deux silhouettes avancent sur la crête
Noires, à l'envers du glacier sombre.
 
 
 
7-
De la terre linéaire s’enfuit cette aube en courant.
Du rouge morbide de ton ivresse à ta culpabilité tremblée, 
Tu fixes les graines joufflues, 
Symétriques des épis qui jaunissent en étages.
 
La couleur s’amenuise au couchant
Haute encore dans le lointain
Au cœur de l’horizon minéral
Bloqué là au fond
Là devant, 
Vers ces altitudes où tu galopes vers des tortures sommitales
L’espace d’un couloir d’heures immaculées
Additionnées au filiforme glacé de la pente
Ereinté par le froid qui te ronge.
 
Sans chercher l’atteinte
Juste le rythme réfrigéré
De la détestation de soi.
L’envergure ailée du dégoût
Le zénith de la faiblesse.
 
Des insectes comateux s’agrippent à ma chair
Effilochée autour du seul désir de mort.
 
 
 
8-
Tremblement des têtes dyslexiques, fourchues,
Nobles aussi,
Piquées d’épines insécables
De lignes de fuite
Aimantée au relief incurvé du tertiaire.
 
Les troupeaux de mélèzes
Chuintent ici de leur souffle amnésique et resserré,
Décalé de leurs gestes amples et distraits.
 
 
L’hypocrisie, étoilée de chiures de moucherons
Vomit dans mon regard
L’ombre invisible de l’abandon
 
 
 
21- 
«L’imperfection est la cime» Yves Bonnefoy
 
Frasques hémophiles
Que la confusion des objets
Ne fait qu’accuser.
 
Objet. Parole. Désir invertébré
Qui se glisse entre le regard et l’odeur.
 
La nuit symphonique déroge au chaos
Plus qu’elle n’accentue la faiblesse.
Depuis deux matins déjà la lumière blanche
S’est substituée aux rougeurs glauques du manquement.
 
Un écoeurant désert sucré a jeté sur nous
Son écharpe.
Bande de gaz qui allège la peine,
Qui rend absconse la finitude.
 
Le jour est la cime,
Rendons lui sa futilité.
 
 
28-
A l’aube des terrains de pierre
S’enchaînent des bâtisses séculaires
J’ai rêvé cette drève sous les charmes
Vers ces pièces austères et vides
Ouvertes comme des pivoines
Ce lit sous la glace dorée, poussiéreuse
J’ai rêvé cette arrivée la nuit
Sans but dans la forêt.
Fougères, cèdres et pins
Ces parfums d’une seule saison
Emboutis au fond de mon cerveau.
 
Retrouver ces palais d’Orient
Où personne ne m’attendais au pied des colonnes
Guetter ces orages horizontaux et fluctuants
Qui m’écrasaient au sol
Lorsque le sable se substituait au blé bleu
D’une campagne idéale.
 
Vallons et étangs.
Rocailles vertes.
Chemin de feuilles sèches, branches cassées.
Galops confondus dans ces hautes herbes de ton enfance
Restituée avec la mienne par le même son haletant
De nos petits chevaux au pas sourd.
 
Offrande anachronique et inutile
Déjà tu me manquais et je ne voulais rien d’autre que toi
Avant cela
Avant de savoir la puissance de l’éclair
Zigzag subit, circonscrit à un pan du ciel
A une heure suspendue, inconsciente.
 
Colonnes d’Orient boutonnées à mon souvenir
Epais murs de pierre obstruant ma mémoire.
Retourner là-bas, parler aux écheveaux de ronces
Qui roulent dans l’infini désert.
 
 
 
30-
Nuit collée à ta chair
Voluptueuse sous mes doigts
Honteuse à ton souvenir
Etouffée à deux mains.
 
Rester murée dans ton dos
Cloîtrée entre tes deux omoplates
Enchaînée à ton corps roide
Clos sur lui -même.
 
Se reposer le plus possible
Dans cette étreinte univoque
Adopter cette torture du refus
Comme le seul bonheur.
 
Je m’épuise à te rendre
Ce que je ne t’ai pas laissé me donner.
 
Le temps est dépassé
Où nous pouvions être un.
 
 
 
34-
Les architraves moirées des mausolées
Plaquent encore contre la mer leurs dômes musqués.
Les crêtes du maquis d’agaves et d’olives
Se fondent dans le vert d’ardoises
Du toit des hautes demeures
Longues et ombragées
Recloses sous leurs volets cyprès
Engourdies par l’abandon.
 
Ici les cloches sonnent les heures
Le temps qui passe sans avancer
Cristallines mais sans écho,
Elles rythment le désordre de pureté
Etabli ici
Dans ce village aux éclats secrets
Où tu as mis si longtemps à revenir.
 
 
 
48-
Le gras du ciel s’anémie en attentes
Plongée dans les avant- jours
Du devenir en cours
 
L’évidence se perd
Happée par un temps de course
Et de mouvements vains
Diluée
 
Enfouie au cœur
On ne l’entend plus
 
Nous espérions tant de ce ravalement du temps
Mais son infini, même improbable, nous a précipité
 
Il faudrait pouvoir faire un pas sur le côté
Au bord de cet amour aveuglant
Qui nous enveloppe et gâte
La générosité de nos regards
 
Nous les avons quittés des yeux
Et ils ne savent plus se poser,
Ils n’osent plus durer,
Ni s’alourdir
Pour se confondre.
 
 
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